Entretien avec Johan Linåker (RISE) au sujet du rapport sur la réutilisation de logiciels
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Sachiko Muto et Johan Linåker sont des chercheurs confirmés des Instituts de recherche RISE de Suède, qui aide le secteur public et l'industrie à utiliser des technologies ouvertes et à collaborer pour rendre possible et renforcer l'interopérabilité, la souveraineté numérique et l'innovation.
Johan Linåker a accepté de répondre à nos questions sur le rapport récemment publié par RISE, Software Reuse through Open Source Software in the Public Sector (pdf).
Bonjour Johan. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'histoire de ce rapport ?
Ce rapport a été commandé par l'Agence danoise pour le gouvernement numérique (Digitaliseringsstyrelsen) afin d'étudier comment les organisations du secteur public permettent et facilitent la réutilisation des logiciels, en particulier grâce aux logiciels libres et open source (FOSS). Il est basé sur 16 études de cas de pays considérés comme numériquement matures selon différents indices. Les études ont porté sur les politiques permettant la réutilisation des logiciels libres et sur les actions de soutien mises en place pour mettre en œuvre de ces politiques. En nous appuyant sur ces résultats, nous proposons une série de recommandations pour la stratégie et la pratique.
Quel est l'objectif de ce rapport et à qui s'adresse-t-il ?
L'objectif était de fournir des informations sur la manière dont les organisations du secteur public danois peuvent mieux tirer parti de la réutilisation des logiciels existants et créer de la valeur en développant des logiciels qui peuvent être réutilisés. L'étude s'adresse aux décideurs politiques, aux fonctionnaires et aux fournisseurs, mais elle peut également intéresser l'écosystème du logiciel libre dans son ensemble, car elle fournit des recommandations et des informations à travers 16 études de cas.
Quelles sont les principales conclusions et avez-vous été personnellement surpris par l'une d'entre elles ?
Les pays étudiés présentent des politiques diverses, mettant l'accent sur l'interopérabilité, la souveraineté numérique, la transparence et le rapport coût-efficacité. Alors que la rentabilité, l'interopérabilité et la transparence sont couramment évoquées, la souveraineté numérique et encore moins la cybersécurité et les aspects de durabilité liés aux logiciels libres ont fait l'objet de beaucoup moins d'attention. Ce dernier point est plutôt surprenant mais peut s'expliquer par l'émergence relativement récente de ces sujets dans les débats publics. Nous espérons et recommandons vivement qu'ils soient pris en compte de manière explicite dans les politiques à venir.
Le rapport identifie également les structures de soutien émergentes, y compris les bureaux de programmes Open Source (OSPO), qui sont essentiels pour renforcer les capacités institutionnelles. Des lignes directrices concrètes sur la manière d'interpréter et de mettre en œuvre les politiques, par exemple sur la manière de prendre en compte les logiciels libres dans un processus d'achat ou sur le moment et la manière de diffuser des logiciels financés par des fonds publics en tant que logiciels libres.
Les catalogues de logiciels ont également été souvent utilisés de différentes manières pour présenter et promouvoir la réutilisation des logiciels libres, qu'ils soient développés, financés ou utilisés par des organismes du secteur public. Les exemples de réussite mettent en évidence la transformation des projets logiciels en une gouvernance durable rendue possible par l'utilisation d'organismes mandataires neutres agissant en tant que porteurs des projets de logiciels libres du secteur public.
La création de missions logiciels libres (ou Open Source Programme Office) aide-t-elle à mettre en œuvre efficacement les politiques relatives aux logiciels libres dans les organisations du secteur public ?
C'est en effet l'une des recommandations. Bien que la façon de les nommer et leurs formes varient, le rapport identifie la présence passée, actuelle et émergente de fonctions de soutien et de centres de compétences pour les logiciels libres et la réutilisation des logiciels, également appelés "Open Source Program Offices" (OSPO). Ces OSPO se sont développés au niveau national, institutionnel et local, jouant un rôle crucial dans le renforcement des capacités institutionnelles pour la réutilisation des logiciels libres.
Les OSPO basés sur des associations aident spécifiquement les OSPO moins capables à mettre en commun leurs ressources et à permettre la maintenance et la gouvernance durables de projets communs de logiciels libres. Dans le contexte français, nous considérons la mission logiciels libres de la DINUM comme un OSPO gouvernemental, et l'ADULLACT comme un OSPO associatif au niveau municipal. Les OSPO centrés sur les institutions sont également fréquents, par exemple dans le cas de Pôle emploi.
Pouvez-vous nous faire part d'une réussite en matière de réutilisation des logiciels ?
Il existe plusieurs exemples de réussite de projets de logiciels libres du secteur public, tels que X-Road, Signalen et gvSIG, qui démontrent le potentiel et les possibilités de (ré)utilisation et de développement collaboratif des logiciels libres à l'échelle transfrontalière. Ces projets illustrent la pratique courante qui consiste à héberger des projets dans des organisations indépendantes dont les organisations du secteur public sont soit membres, soit propriétaires.
Ces organisations conjointes, semblables aux fondations que l'on trouve couramment dans l'écosystème plus large des logiciels libres, agissent en tant qu'administrateurs de logiciels libres, et aident à mettre en commun les ressources et à collaborer à la planification, à l'approvisionnement, au développement et à la maintenance du ou des projet(s). Les organisations du secteur public plus compétentes, telles que les grandes villes et les municipalités, jouent généralement un rôle de premier plan dans le développement et la viabilité à long terme des projets.
Quelles sont les principales recommandations du rapport ?
Plusieurs recommandations sont formulées sur la base des résultats synthétisés et des meilleures pratiques observées dans les différents cas. Du point de vue des politiques, nous proposons que celles-ci soient conçues en tenant compte des cas d'utilisation « entrants » (acquisition de logiciels libres) et « sortants » (mise à disposition de logiciels libres), ainsi que de la façon dont elles peuvent aider à atteindre des objectifs plus larges, notamment l'interopérabilité, la souveraineté numérique, la rentabilité, la transparence et la cybersécurité.
Du point de vue de l'appui à ces politiques, nous proposons plusieurs initiatives possibles, notamment la création d'OSPO à différents niveaux de gouvernement, l'élaboration des lignes directrices nécessaires à l'interprétation des politiques, la création et l'exploitation de communautés au sein du secteur public et de l'écosystème du logiciel libre au sens large, et la création de catalogues pour promouvoir la réutilisation du logiciel libre pour les organisations du secteur public.
Ce que nous n'avons pas observé dans les études de cas, c'est une approche prospective de la planification, de l'orientation et du suivi des objectifs et des pratiques visant à permettre la réutilisation des logiciels par le biais des logiciels libres, ainsi que de leur impact à court et à long terme. Les indicateurs actuels de maturité numérique, dont certains ont été utilisés pour l'échantillonnage du rapport, abordent à des degrés divers le sujet des logiciels libres en relation avec la transformation numérique, mais aucun ne va dans le détail, en examinant les mesures réelles prises pour permettre la réutilisation des logiciels ou les objectifs politiques potentiels qui s'y rattachent. Nous recommandons donc vivement que de telles mesures soient développées, à la fois parmi les pays qui visent à tirer parti du logiciel libre comme instrument de leur transformation numérique et parmi les organisations qui gèrent les indicateurs de maturité numérique, car ils servent de guide pour les pays qui cherchent à mûrir et à évoluer. Les recommandations du présent rapport peuvent servir de base à l'élaboration de ces indicateurs.
Comment l'UE devrait-elle progresser en termes de coopération efficace en matière de logiciels libres pour PSO ?
Promouvoir l'adoption des politiques et des initiatives de soutien nécessaires dans tous les États membres. À cet égard, le réseau des OSPO de la CE peut jouer un rôle important de facilitateur et de rassembleur.
Il conviendrait également d'approfondir les travaux et les recherches afin de permettre une réutilisation transfrontalière à plus grande échelle. Bien que la plupart des logiciels libres développés dans les différents États membres ne soient pas généralisables, certains le sont et peuvent apporter d'énormes avantages s'ils sont mis en œuvre.
Enfin, nous encourageons vivement la conception et l'adoption d'indicateurs relatifs aux logiciels libres au sein des indices pertinents, tels que DESI, afin de permettre la planification, le pilotage et le suivi des objectifs et des pratiques visant à favoriser la réutilisation des logiciels par le biais des logiciels libres.